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Observer, telle une statue.

J’aime ça.

Les certitudes des passants, les visages torturés, les visages heureux, le portable collé à l'oreille en attente des miettes de l’essentiel.

 

A quoi rêver ? à une musique... une vibration harmonieuse, un sifflement, un rythme de tango, un rap saccadé, une toccata, une berceuse, un ukulélé. Sous les casques collés aux oreilles, plus élégants que les bouchons de cire ou les boulettes de papier WC enfoncés dans les conduits, les doux clapotis des eaux maternelles gravés dans nos âmes nous rappellent un temps perdu. Une moto passe à toute allure. Un chien hurle au bout d'une laisse sertie de brillants. L'esprit de la conquête s'impose. S’amplifie. Les vroumms déchirent les poitrails.

 

Les créoles au bout des lobes caressent les joues rougies. Les pas pressés perchés sur des talons hauts sont si admirables, une fatigante illusion d'être jolie.

Les sacs-plastique, outils urbains indispensables, entament les poignets. Les sacs en bandoulière témoignent de la nostalgie des sentiers pédestres, des champs de pâquerettes encore en liberté. Les trottoirs sont chauds.

 

Les pas ralentissent, les feuilles blanches s'échappent d'entre les doigts. On se précipite en brassant de l'air. Les jupes se soulèvent dans le bonheur d’être vues, le feu dans le sang, les garçons se jettent à leur poursuite. Tous est sous contrôle. Les pompons accrochés aux sacs des filles font rire quelques amertumes.

 

Avec un verre de plus, les anciens suivent d'un regard lunaire les avions, le coude levé aux cieux. Les queues de cheval impeccablement nouées se vouent à une vie parfaite. Les joggers soufflent, leurs émetteurs émettent, leurs habits étranglent les jambes, les pieds touchent à peine le sol brûlant.

 

Les embouteillages sentent le roussi, les foudres s'abattent sur le malheureux qui ose un faux-pas. Les stylés derrière leurs vitres ne manquent pas de chic, jamais une mèche défaite dans l'air climatisé. Les rencontres inattendues aux sourires béats derrière les vitres entrouvertes font rêver d'exquises aventures.

Des camions passent. Les prénoms des chauffeurs exposés sur des cartons, plus grands que ceux d'invitation, attirent les yeux. Au moins on sait que là en haut, dans leurs cabines gigantesques, il n'y a pas que du vent.

Les tatoués, les percés, les regards complices se rencontrent, plongés dans l’enfer de leurs destins. Les regards fuyants, un fusil invisible à la main, les écorchés passent à travers les murs, longent les façades, des drapeaux blancs en main. Les sacs Dior contrefaits font la bataille, les gâteaux sous des cloches plastifiées apaisent les tortures. Les poings fermés dans les poches ne caressent plus aucun amour. Les béquilles signalent leur arrivée prioritaire. Les after hours font des bonds sans issue. Un portable fait croire que quelqu’un d'important appelle. Les variantes sont multiples. En les regardant, je m'oublie. Cette petite liberté, je la déguste, un stylo à la main.

 

 

Sonia Zok

(atelier d'écriture)

19 nov.2017

(2013)

​Instantanés urbains

Les sons de Carouge

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