VARIATIONS SUR DES POÈMES DE PAUL ELUARD
d'après le recueil "Poésie ininterrompue" SONIA ZOK
Ce sont les mains
Ce sont les mains, les mains d’amour
Leur habileté les comble de néant
Au crépuscule, à l’aube éclatante elles annulent tout espoir
Ce ne sont que les mains
Mais il faut qu’elles broient, abolissent le mystère unique
Pleurez les mots incohérents
Les mains sont les cœurs, les flammes, la mort, la lumière
Fini de fuir
Fini de fuir, j’avance et j'anime, les premiers mots
Je veux vivre par un mot, ce premier mot, mon bien-aimé,
Semblable aux saisons sans regret, aux étoiles qui augmentent les autres étoiles
Dans l’exaltation il y a encore des mots où nul n’est seul où nul n’a peur
Nos mains règlent l’écriture, les fins propos
La note juste règle nos lèvres, nos plaisirs
Il m’a toujours fallu un seul être pour vivre
Pierre je ne suis pas, ma chair est bouillante
Je peux vivre entre quatre murs sans rien oublier du dehors
Les autres fous, ils ont tous la même richesse,
Pour s’entr’aimer, ils ont des mots
Viens à côté de moi, je m’approche de toi
D’une caresse l’univers s’impose subtil
De nos mots nous passons à l’extase de nos sens rassemblés
Il nous faut voir, toucher, sentir, goûter, entendre allumer un feu
Il nous faut être confiants, sauvages sans cruauté
Malgré la porte et les volets fermés le vent nettoie nos mots
Ton souffle je le lis, j’étais loin, j’avais faim, j’avais soif,
Je te touche la nuit, goûte ton sang, ta peau
Je respire, parle, je vois
Dans l’ombre de tes mots je sais prolonger l’instinct
Mon cœur s'offre nu ou bien vêtu de tout, d’un cri d’espoir, d'un cri de fou
J’imagine tes mots et j’en perds le souffle
La force qui les délivre, je la vois, j’éclabousse de passion
Mes mots sont plus fragiles que leurs étincelles
Je m’exprime par bonds sans savoir où je vais
Moi qui peux parler comme je parle, par les mots,
Je cherche à te joindre à toutes tes images faites de mirage
Je confonds hier et demain , je m’en perds et je m’éternise
Absorbée par le sol, je vole
D’une aile pesant d’un mot ardent
Je repasse les plis du vent
Ce qui me manque un autre là !
Pour aimer, pour commencer
Pour n’en jamais finir d’aimer
Pour ne plus jamais renoncer
Dans mes rêves
Dans mes rêves, mes vertèbres, mes nerfs, ma chair perdent apparence
Pour me sauver, j’erre dans des nocturnes immenses,
Dans le bois sec, dans les rochers, dans la forêt, tunnels et labyrinthes
Sur terre et sous terre, au sein de l’eau
Je crève au soleil, brûle, me noie
Et je m’étale et je me traîne
Je brûle à jamais
Ni lourde, ni légère
Nul ne peut me séparer
De ta chevelure, de tes bras
De ta gorge, de ton silence
De ta lumière dans ma nuit
De tes reliefs, de ta distance
La vague après la vague enfle en moi pour que je continue
Mouvement, naufrages, décombres, alliance
Je m’agrège aux jeux sans issue
Il n’est pas question de permettre à ma poitrine un entracte
Mon amour la foudre de tes mots m’anime, m’immobilise
Je ne suis l’objet d’aucun doute
Je ne contemple que toi, je te guette dans le mur de silence
Que je frappe, que j’abats
Et je tombe et je me relève, dans la même absence
Je sens m’en aller très bas
Très haut, très près, très loin
Tes épaules sont mes mystères
En me couchant comme cendre sous la flamme
J’apprends du gouffre la lumière
Je respire amoureuse
Je m’élance, je suis enfin près de toi
Ma fièvre, mon bien-aimé, mon toi
Pourtant ce monde
Pourtant ce monde est petit
Petit comme une feuille d’automne
L’amant pense à son travail, à son train
La rue passe sur ses pas empressés
Je vois le dos d’un manteau gris
Près d’un canal je vois ses mains s’étendre
Dans la nuit j’avale une boisson dangereuse
Cette petite tache
Cette petite tache de lumière
Ce feu éclaire les épaules adorables
Mon amour violent et subtil, la forêt, la voilà
Malgré la nuit, je la vois s’éclairer d’elle-même
Par ses frissons et par ses voix
Dans l’œil droit des hiboux
Dans les gouttes de houx
Dans l’aile étendue très haut
Dans le gui des philosophes
Dans la chaleur, dans le vent
Dans un monde mort et vivant
Dans les miroirs brisés, dans les miroirs entiers
Dans les griffes, dans les points flamboyants
Dans les miettes de solitaires
Dans une poitrine émue
Jusqu’aux déluges, jusqu’aux étoiles éteintes
Mon amour violent et subtil, notre forêt, la voilà
Là se dressent
Là se dressent les mille murs
Là dorment les tuiles, portant l’ombre des oiseaux
Là l’objet caresse la main
Un pas après un pas la route conduit les gestes
Je parle et l’on me parle
Et le temps qui sépare et qui joint toutes choses,
Je le confonds de tous les points de l’horizon
Je ne vois clair que si l’amour m’apporte le pollen
Entre chez moi mon amour
Entre chez moi toi ma passion de vivre
Ne doute plus de rien
Entre chez moi toi mon tourment
Entre chez moi vorace et rassasiée
Viens mon audace au large des orages
Je suis déjà couchée dans la plaine et les bois
C’est le flot montant de la mer qui t’envoie
Nos lèvres ont la courbe d’un seul mot
Entre en moi, toi ma multitude
Entre en moi mon silence, les flots de mon avenir
Je n’ai pas de secrets avec toi
Je vis d’un élan au cours des ans,
De mille jeunesses par étés et par automnes
Je répète et je m’étonne, les mots ne sont pas pour rien
Une main et pourquoi pas la bouche
Une main et pourquoi pas la bouche
Pourquoi pas un sourire
Et pourquoi pas des larmes
Il n’y a rien à attendre
Ni la pierre ni l’éloge
Ni un plaisir réduit
Ni les points d’exclamation
Ni les points de stupeurs
Ni l’hébétude, ni l’incendie
Tout commence par des images
Disaient les fous frères de rien,
Des images de nos désirs
Aujourd’hui nous voulons ensemble jouer et rire
Rideau il n’y a pas de rideau
Mais quelques marches
Quelques marches à construire sans fatigue sans soucis
Nous n’en avons jamais douté
Nous savons bien la souffrance
Nous voulons bien l’amour, de la vue, des mains, du vin
Nous voulons être uniques à partager nos caresses
En un monde unique, que à nous
Les mots
Les mots qui me sont interdits viennent vers moi,
Ruiner l’ombre quotidienne, faire honneur à l’avenir
Les mots auréolés, les mots de la haine, de l’angoisse, tombent à la première marche
Les mots papillons s’entassent éphémères
Flemmes vaines travaillent sans savoir pourquoi
Les mots déserts sous l’azur bien sage mettent les chairs en loques
Le mot caresse, au contact de la nuit, est sanctifié
Le mot beauté mendie son pain, ouvre les plaies de l’insomnie
Les mots portent des cris, leurs calculs pourrissent l’évasion
En moins d’une heure pour toujours
Les mots battent la cloche par les mains heureuses
Le mot lèvres, tourne à rebours les désirs
Les mots s’abattent, les mots cicatrisent, cisèlent des rides, les faces
Cordes des distances
Cordes des distances, cordes d’espérance
Toi s’exaltant pour m’exalter
Tout se noue en mon domaine
La joie, la clarté convulsées, perdent leur éclat
Les cages vides sont fermées, ciel étoilé est aride
Les jeux nous ramènent nuit vague
Entre tous les vivants je ne joue qu’à mourir
Et ni l’eau ni le vent ni le soleil ni l’aube ne peuvent me distraire
Leurs courbes me retiennent au bord d’un abîme
Les portes se ferment, la vitre tombe,
Les mosaïques brouillées font et refont mes rêves
D’un compagnon sans ombre, la tête haute,
De sa chair claire, de ses portraits, de ses vertus déroutantes
Dans les méandres
Dans les méandres de ma chambre
Tes mots, je les entends encore dans ma fièvre
Je les répète dans les rêves
Je prends feu tout en mettant force à m’en défendre
Toujours sont sans défaut tes rides
Toi qui me promis d’échapper des douleurs
Toi, mon amour des terribles colères
Qui fais de ta justice mon monde
Je suis ta cible, je me rends
Une ombre sans flèche, sans reflet,
Pour un de tes mots
Déchirante étendue
Déchirante étendue
Où la mer est en fuite
Où la plaine brûle
Aspirée par la glace
Inondée de feuilles mortes
Insensibles et vivants nous avons eu 20 ans
Au crépuscule le gouffre d’un avenir d’adultes joue avec nous
Mille promesses des enfants que nous fûmes
Le vent s’est désorienté la lumière est brouillée
Un rien nous tient immobiles
Les jouets et les jeux sont changés en travaux, en objets
Nous avons appris à compter à réduire les jouissances
A mi-chemin de tout murmure
Le printemps diminue
Combien de nuits encore et des saisons si différentes
Depuis aussi longtemps que moi
Tu cherches sur tous les chemins
L’espoir un jour ira comme la foudre
Rayonner le plomb de nos désastres
En dépit des pierres
Nous irons encore
En dépit des cœurs noués
Nous vivrons d’espoir
Rien ne nous réduit
À supporter l’ombre
Doute ni soupçon
Sans nous sur terre
Tout remue et chante
Change et prend plaisir
L’amour a toujours des marges
L’amour a toujours des marges
Les forces d’espoir s’y sont réfugiées
Je t’aime, je t’adore toi
Aux confins des vallées fertiles
Au seuil des rires et des îles
Où nul ne se noie ni ne brûle
La nuit s’offre des jeux de la jeunesse
Tout monte, rien ne se retire
Je peux t’enclore entre mes bras
Sans rien déranger de ton rêve
Je t’entraîne dans ma fièvre
Là où il n’y a pas de glaces qui tiennent
Devant la foudre et l’incendie
Devant les épis enflammés
Un vrai baiser te dit, ne t'en va pas
Toi, sublime solitaire
Toi, sublime solitaire, vif, passionné, sourd, secret, souterrain,
Aveugle, rude, obscur, ensoleillé, confus, caressant, instruit,
Discret, ingénieux, étoilé, palpitant, contradictoire,
Toi, mon amour heureux un été et l’hiver, revenu de la mort,
Revenu de la vie, passé par un miroir, dépêche-toi solitaire
L’amour n’a pas le temps
Il parle à demi-mot
Il n’y a que mes yeux qu’un songe tient ouverts
Mon teint devient plus clair mon teint devient plus sombre
Je suis rayon de soleil, je suis ton bonheur nocturne
Une goutte de sang, une goutte de feu
Rien n’a changé candeur, rien n’a changé mon désir, j’aime par-dessus tout
De l’avenir je ne connais rien
Une vie limitée par les absences, les larmes aussi
Hier c’est la promesse,
La chair, une caresse pleine, nue, miraculeuse
Une larme entre deux rires
Dans mes veines ton parfum approfondit la lumière
Les bouches, les silences, les lignes des mains
Passent les distances
Une aube naît de nos chairs ardentes
Venant de très loin
Venant de très loin, sur leur amour ils avaient tous juré
D’aller ensemble en se tenant la main
Ils étaient décidés à ne jamais céder à aucune loi
Ils voulaient s’enivrer d’eux-mêmes
Ils avaient trop longtemps vécu rongeant leur frein lourd de fatigue
Que de baisers désespérés, que de retours à hurler
Mon amour je te promets, nous allons vivre un jour l'instant
La porte d’un bar
La porte d’un bar, l’apothéose
Où tout est démesure
La plainte est inutile, le rire est imbécile
Les yeux ont disparu, pour conserver tant d’espoir
Plus noire, plus légère, j’assume les promesses d’hier
J’écris matin, midi, minuit et de nouveaux matins,
Parée de beauté, de laideur, de misérable lumière
Un matin je sortis d’un rêve pour mener à bien la vie
Un matin de la nécessité, du devoir,
La rencontre niée, l'absence, la solitude
Il nous faut sauver, un baiser, un corps
Dans les vitres brisées
Dans les vitres brisées, prend sens l’insensé espoir
Je médite au présent ton absence
C’est le luxe, l’aisance, une main consolée
Les semaines, les dimanches s’épanchent dans le vide, gâchés ils s’éternisent
De quoi calmer les âmes amoureuses
De quoi varier le cours des rêveries
De quoi provoquer l’oubli
Comprendre l’erreur c’est voir la foudre,
La secousse de vanité
Les cantiques paient le prix de mots définis
Le bruit des mots insupportables abrite trop de calculs
Je tremble comme un arbre
Ma sève n’est qu’une excuse
Mon sang n’est qu’une raison
La vilaine blessure je l’accepte
Coupable, je me dresse, contre l’impatience,
Contre les mots qui se contredisent
Nous nous réveillons, nous nous révélons des ailes de papillons
Nos cœurs brûlent nos corps
Nous montons, chauffés à blanc
Nos prunelles s’écarquillent
Nos cachettes se dévoilent
La Liberté
de et par
Paul Eluard
PLAY
SONIA ZOK
en mi majeur
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